Je prendrai pour définition de la citoyenneté le fait de jouir de droits citoyens incluant le droit de vote, puisque la conquête des droits des femmes, si elle ne s’arrête pas au droit de vote obtenu en 1944 est avant tout une émancipation de la tutelle de la domination masculine essentiellement théorisée durant les lumières. Ce droit de vote est un paradoxe puisque depuis la révolution, les femmes bénéficient d’une intégration symbolique mais en sont exclues physiquement. Ce paradoxe a été dénoncé très tôt par Olympe de Gouges dans la déclaration des droits de la femme et de la citoyenne de septembre 1791. Elle constate que la révolution a placé les femmes dans la sphère civile à égalité avec les hommes, mais pas dans celle civique des électeurs. Or les femmes ne sont pas restées inactives durant la révolution. Par exemple dès l’ouverture des états généraux des femmes assistent aux séances et même y sont plus nombreuses que les hommes. Elles ont aussi leurs propres clubs, plus de 50 à Paris et en province. Cela s’ajoute aux salons et fait aussi lieux de débats et de discussions politiques. Elles y rédigent des textes et pétitions, parfois au nom des femmes, comme celle lue en 1792 par Pauline Léon, signée de plus de 300noms et portant sur le droit naturel de s’organiser en garde nationale. En 1793 elles votent la constitution même si elles en sont écartées. Elles participent aussi aux émeutes comme la guerre de Vendée, comme Anne-Joseph Théroigne de Méricourt qui demande à créer sa phalange d’amazones afin de combattre en 1792.
On retient deux explications à l’évincement des femmes : on a une conceptions familialiste du suffrage à cette époque ; et on a une naturalisation de la domination masculine. Seul l’homme vote. Il y a une pensée de l’individu encore perçu comme membre d’une famille, conçue comme une unité hiérarchisée d’êtres différents. Celui qui vote ne vote pas en tant qu’individu mais en tant que chef d’une famille. Le paradoxe est là dans la persistance du modèle familial qui continue à structurer les esprits par-delà 1789. A travers l’homme c’est le pater familias qui subsiste afin d’exercer le droit politique pour toute la communauté qui lui est associée. La famille peut aider le père de famille à payer les 300 francs du cens. Avec 1848 la famille n’est plus pensée comme une unité mais comme un assemblage d’individus et on va oublier cette conception familialiste.
Il faut ensuite comprendre comment les revendications des suffragettes échouent en 1919 au Sénat. Les premiers mouvements féministes apparaissent en 1830 dans le sillage des socialistes utopiques. Mais c’est surtout avec la IIIe république en 1871 que le mot apparait. En 1883 l’association « le suffrage des femmes » est fondée par Hubertine Auclert. Elles publient un journal : la citoyenne. Elles mobilisent des citoyens comme Victor Hugo. Elles organisent des meetings et ont une stratégie du scandale. Une aile réformiste des associations féministes milite pour des droits, et une aile radicale demande des changements complets pour l’égalité des droits. Elles militent également pour d’autres causes et sont moins présentes dans le champ politique. Dans les années 1970 elles politisent les questions sexuelles mais elles ne cherchent pas à agir en tant que professionnelle du champ politique. Ces croyances n’expliquent pas à elles seules l’échec de 1919, car les radicaux craignent aussi que les femmes votent pour les conservateurs.
Des progrès mènent à l’ordonnance de 1944, malgré qu’il y ait sous Vichy une résurgence de l’éternel féminin, puisque le gouvernement collaborationniste fonde une révolution conservatrice qui glorifie les qualités dominées imputées aux femmes. Ce n’est pas seulement l’ordre des sexes qui est en jeu mais un rappel à un ordre social naturel. Par le geste de cette ordonnance il s’agit de réenchanter la politique. C’est cependant à des fins politiques que les stéréotypes de genre sont montrés en emblèmes et les questions féministes sont écartées au profit du renouvellement du champ politique. Mais la lutte pour le droit de la citoyenneté des femmes devra continuer avec entre autre la liberté de travailler, d’avoir un compte en banque, ou du droit à l’avortement, jusque dans les années 1970.