Retour à Jackson Heights

Dans le cadre d’un cours de sociologie du langage dispensé par Christophe Gaubert à la FLSH de Limoges, et lors du confinement, j’ai eu à travailler sur le documentaire in Jackson heights de Frederick Wiseman. Voici un compte rendu, dont l’introduction a été rédigée par mon camarade de promotion Cyrille Martin. Pour permettre de respecter la limite de caractères du devoir, des choix ont été faits pour se concentrer sur le contraste intérieur/extérieur de l’unité de lieux. Les notes prises durant le visionnage du film qui sont présentes dans ce compte rendu ne sont donc qu’une modeste partie du travail de retranscription.


Introduction

« In Jackson heights » est un documentaire sorti en 2015. Toutes les scènes se déroulent dans le quartier new-yorkais de Jackson Heights. Ce quartier est selon Daniel Dromm, conseiller du maire du quartier, la plus diversifiée du monde avec pas moins de 167 langues différentes qui y sont parlées. Le réalisateur Frédéric Wiseman est un cinéaste américain qui met les institutions au cœur de tous ses films. Dans ce documentaire il n’y a pas de mise en scène, la caméra déambule et filme les scènes telles qu’elles se déroulent naturellement. Cette mixité culturelle et linguistique que donne à voir ce reportage permet une analyse sociologique du langage. La langue n’est pas une finalité en-soi. A travers les échanges linguistiques se mettent en place des rapports de forces entre des productions linguistiques auxquelles sont attribuées des valeurs symboliques qui sont différenciées. Bien qu’il n’y ait pas de langue officielle aux USA, la langue que l’on parle et la manière dont on l’exprime n’est pas neutre. Selon Bourdieu : « Parler c’est se situer dans la hiérarchie des styles expressifs et par la même dans la hiérarchie sociale ». Dans un premier temps nous analyserons sociologiquement le langage tel qu’il se donne à voir dans la rue puis dans un second temps tel qu’il s’exprime à l’intérieur de lieux typiques.


Dehors, la rue

Un lieu de symboles

Le documentaire débute dans la rue, et chaque scène y commencera ensuite. Cette première rue est fermée aux voitures car il s’y tient un marché. A l’instant on y parle arabe, signe déjà de la présence d’une culture et d’une langue qui ne sont pas typiques de la représentation que nous nous faisons en France des états unis d’Amérique.

La rue de Jackson Heights est plurielle, elle affirme son identité multiculturelle à travers autant de signes langagiers qu’esthétiques. Un trait commun cependant : le métro aérien, omniprésent, qui introduira pratiquement chaque nouvelle scène. La sortie de Roosevelt Avenue de ce métro possède un affichage en Anglais, et devant elle on pourra observer la présence d’une voiture de police, la nuit après la scène présentant un bar Gay friendly. Lors de cette scène un autre usage de l’anglais pourra être observé sur un cyber café. Mais si lors de ce brassage de la population du quartier la nuit, notamment dans la discothèque la langue utilisée sera latino, pour parler autant que pour l’affichage courant, des drapeaux en guirlande du monde entier, caraïbes, Europe Turquie entre autres, affirment la diversité des identités présentes.

La guirlande de drapeaux se voit l’objet d’un usage récurent dans le quartier, on peut l’observer sur la devanture de nombreux commerces, ou restaurants, dont l’identité propre est pourtant affirmée comme chez l’épicier indien, ou le boucher hallal, avec un affichage des noms dans la langue de la communauté propriétaire du commerce.

Le drapeau américain lui se retrouve peu dans la rue, on le retrouve dans un bus, sur la porte du bureau du conseiller du maire, devant un grand magasin, plus précisément au-dessus du charbon, mais une farandole de drapeaux d’une multitude de pays orne tout de même le haut de la vitrine. Parfois il est doublé d’un drapeau LGBT et est généralement de grande taille comme au-dessus du charbon du grand magasin, sur la porte du conseiller ou dans le bus, ainsi que sur certaines vitrines. Les autres drapeaux sont eux systématiquement de petite taille.

La rue est donc le théâtre de l’affirmation des identités nationales et culturelles de ses habitants. Mais les enseignes y sont pour la plus part en langue latino. On peut observer sur les enseignes un usage de l’anglais essentiellement lié à l’argent (rachat d’or, préteurs sur gages), à la culture Chicanos typiquement américaine sur la boutique de tatouages, ou institutionnel pour se rattacher à l’identité étatsunienne commune. Mais de nombreuses enseignes comme les enseignes de boucherie hallal par exemple sont à la fois en arabe pour la communauté, en anglais pour l’institutionnel, et en latino pour la population à majorité latino.

Un lieu de lutte langagière

Car les rues sont surtout le lieu de démonstration langagière de la culture latino. On peut donc l’observer à travers ses enseignes commerçantes. Mais on peut aussi croiser des terrasses avec des tables pour deux, sans consommations sur les tables, où les gens attablés sont surtout latinos, écoutant un concert de musique et de chant mexicaine réalisé par 4 femmes avec des instruments à cordes.  On croise aussi des match de foot opposant la Colombie à d’autres équipes. Par exemple un groupe de latinos, sur le trottoir, composé surtout d’hommes, mais aussi de femmes arborant t-shirt hello kitty ou maillot colombien, regarde un match de foot Colombie cote d’ivoire. Ici l’usage de la langue est aussi latino. On voit aussi dans ce documentaire les populations pauvres qui font la queue lors des distribution de pains la nuit dans les ruelles, voir y dorment. La distribution de nourriture est assurée par des latinos en langue latino.

Dans ces rues on y manifeste aussi, cela va de la manifestation improvisée à la grande parade annuelle, mais les manifestations représentées dans le documentaire concernent essentiellement la communauté LGBT, et par voie de conséquence, la communauté latino qui la compose. « Jackson Heights écouta ! » scandent des manifestants LGBT lors d’une procession de blancs, de latinos et de noirs, femmes hommes enfants, et transgenres. On voit flotter des drapeaux LGBT. D’autres slogans sont en anglais « who’s streets ? our streets » et d’autres sur l’homophobie et la transphobie en langue latino. Une femme transgenre affirme avoir été discriminée dans un bar devant lequel le cortège se rassemble. Ici il est fait usage de la langue latino de sa part pour expliquer la situation. Les écriteaux sur la porte du bar sont écrits en langue latino. Ils demandent la fin de la discrimination. Pendant ce temps une jeune latino sert de la street food dans son échoppe ambulante à côté, charrette comme on en retrouve tout au long des rues, tenues elles aussi par des latinos. La grande parade, ou Queens parade, est institutionalisée dans le langage.

Dans l’avenue les motard prennent la tête du cortège, c’est la grande parade LGBT. Les percussions retentissent, on aperçoit partout des ballons, et des drapeaux LGBT. On peut voir des banderoles american veterans for equal rights NY. Les gens dansent, avec des déguisements de couleurs. La population est composée de blancs, de noirs, de latinos hommes femmes et trans, de tous âges y compris des enfants. Le conseiller du maire Daniel Dromm est en tête du cortège avec une banderole NY city councill et des drapeaux LGBT. Des photographes et caméramans ciblent la parade. On note un usage de l’anglais par la voiture haut-parleur, d’où sort une musique pop américaine en anglais. Les banderoles sont en anglais. Les slogans aux micros « happy pride » sont déclamés. Suit la metropolitan community church of NY avec banderole « god made us queer ». Puis la Fanfare de cuivres, et le maire du quartier. Sur les côtés l’assistance est multiraciale : blancs latinos noirs asiatiques. On voit encore la place de la religion : « jésus peut pardonner le péché pardonne-t-il le vôtre ? » en anglais. Ça n’a pas l’air d’être dans la procession on voit le mur proche derrière et juste la pancarte brandie, pas la personne ni ce qui l’entoure pour contextualiser. Les voitures hautparleurs utilisent toujours l’anglais. Les pancartes de la parade sont toujours en anglais et le discours du maire est toujours en anglais. Il est entouré de blancs. Il rappelle que cette parade est en l’honneur de Julio riviera, un jeune latino assassiné parce qu’il était différent, et il condamne toute forme de violence envers la communauté LGBT : utilisation du nous -> nous condamnons. Son ton impose. Il annonce que la police est avec « vous » pour combattre cette violence sous toutes ces formes. Police que nous verrons essentiellement blanche à l’exception d’une femme noire à la suite d’un match de foot opposant la Colombie à une autre équipe. Puis viennent des cheerleaders, suivies des drag queens. Et pour la voiture qui suit les drag queen on note l’utilisation du colombien pour la langue. Puis Daniel Dromm défile avec un boa aux couleurs LGBT en dansant. Il est annoncé en anglais comme le fondateur de la Queens parade. On voit donc bien que cette parade, institution du quartier, est soumise à l’usage de l’anglais contrairement à la manifestation improvisée.

Un lieu de lutte de pouvoir

Un autre usage différencié de l’anglais est distingué dans la rue lors de ce documentaire : la clean walk de la congrégation d’Alabama. Pendant que dans une laverie se tient un concert de musique balinaise jouée par un vieux couple blanc devant une assemblée multiraciale, dehors une clean walk est en cours. Les participants sont blancs, et la langue d’usage est l’anglais. Une passante blanche les interpelle dans un anglais impeccable aux allures chics pour leur demander une prière pour son père mourant. De toute évidence il s’agit d’une congrégation d’une sud à cause de leur accent. Ils se révèlent être d’Alabama, un état effectivement au sud mais ne connaissant pas suffisamment le parler américain, je ne peux reconnaitre cet accent. Peut être sous l’effet de la caméra, la passante utilise un ton pressé. Comme lors du prêche de l’imam qu’on peut voir au début du documentaire, la personne qui dirige la prière maitrise parfaitement son texte, et semble réciter, comme si elle était pressée, avec un soupçon de plainte dans la voix là où le ton de l’imam semblait plus lié à la crainte d’un châtiment. Dans les deux cas on retrouve l’exaltation de la parole et un flot incessant de parole qu’on ne peut interrompre. Elle tente d’ailleurs de caller sa respiration sur le rythme qu’elle impose et on entend de profondes inspirations pour maintenir le flot de paroles. Les autres membres de la congrégation, semblent assez mielleux dans leurs intonations. L’usage de l’anglais y semble parfaitement maitrisé et naturel, comme témoignant d’un habitus langagier des classes aisées blanches américaines, et tranche avec l’usage populaire de la langue latino des manifestantes LGBT.

Cet usage distingué de l’anglais se retrouve dans l’affichage en Anglais des magasins de grands groupes comme le magasin GAP, qui témoigne de la gentrification du quartier par les riche investisseurs immobiliers venus de Manhattan, Brooklyn, Astoria ou Long Island. Le vote à venir du Business Improvement District ou B.I.D dans le quartier de Jackson Heights, est en effet un enjeu de pouvoir sur le quartier qui met en concurrence les petits commerçants du quartier, majoritairement latinos, et les promoteurs de ces quartiers, à dominante blanche et usant de l’anglais. Ces derniers, comme il est expliqué, embellissent le quartier afin de lui faire gagner de la valeur financière. L’embellissement du quartier, par des groupes à dominante blanche anglophone comme les femmes âgées qui tricottent dans un salon de thé tend à augmenter les loyers. Elles font partie du groupe « embellissement de Jackson Heights », on peut donc penser qu’elles ont des intérêts ou sont proches des intérêts liés au B.I.D. Elles sont actives puisqu’elles « jardinent » aux pieds des arbres de Jackson Heights, ou devant les écoles, et on peut se demander s’il existe un lien avec la congrégation effectuant la clean walk vue précédemment. Elles sont donc une des causes de l’augmentation de la taxe foncière du quartier à travers l’amélioration esthétique du quartier. Une a été élevée à Brooklyn. Une autre vient de new Brunswick. Cet embellissement du quartier passe certainement par une mise à l’écart d’un autre phénomène auquel on assiste dans le documentaire : le recyclage de bouteilles et de canettes comme commerce de subsistance, auquel se livrent surtout des latinos. L’enjeu principal se détermine donc à travers l’usage d’une langue caractéristique de l’habitus de classe des blancs américains aisés.


Dedans, des lieux typiques

Le salon de toilettage canin

Nous sommes désormais dans un salon de toilettage canin, il s’agit d’un magasin de chaînes, assez petit avec un grand drapeau américain, on note aussi que l’affichage est en anglais. Malgré la présence quasi exclusive d’employés latinos, le magasin affiche clairement son attachement au territoire au pays d’accueil. Dans une vitrine de la boutique se trouve des t-shirts de foot pour chiens de différentes nations ce qui traduit la diversité culturelle des clients susceptible de venir dans cette boutique et leur attachement au pays d’origine plus ou moins lointain. Un homme cherche les bouteilles à consigner dans une poubelle, un autre passe avec son chariot de vendeur ambulant. Soudain on voit une cliente latino à l’intérieur venu pour sonyorkshire. Il est fait sage de la langue latino avec la vendeuse. Par contre pour le toilettage c’est l’anglais qui est utilisé entre le toiletteur et le client. Le toiletteur parle également en anglais au chien « you’re ok, nice baby ». Le salon est très propre, un des employés est latino, comme la vendeuse, il fait usage de la langue latino lorsqu’il rend le chien qu’il a toiletté. La cliente latino répond en anglais au toiletteur « It’s Ok » puis prend son chien dans ses bras et s’adresse à lui en Espagnol « Me la cambiano ! » La propriétaire du chien a un style occidental, lunettes de soleil sur la tête, vernis à ongle, maquillage, boucles d’oreilles. En tant que cliente elle se retrouve dans une position de dominante, celle qui a l’argent et qui est servi. C’est pour habiller et habiter cette posture qu’elle s’exprime en anglais afin de rajouter du crédit à sa posture privilégiée. De même que en dépensant de l’argent pour faire toiletter son chien peut-être perçu comme une volonté d’identification sociale de soi aux classes favorisées en imitant leurs pratiques, les plus démunis ne pourraient même pas s’offrir le luxe de posséder une bouche de plus à nourrir, l’usage de l’anglais vient renforcer la volonté de se faire valoir comme socialement supérieur face à ses interlocuteurs. En parlant au chien en espagnol, on remarque clairement, que la joie de retrouver son brave toutou est plus forte que le contrôle de soi. La censure de son langage natal cède et son habitus linguistique s’exprime alors sans retenue lorsqu’elle s’adresse à son chien. On peut aussi faire part de la tenue de son corps et de sa corpulence qui trahie son appartenance sociale ce que confirme le comportement et la tenue de son fils. La barrière entre l’expression d’un certain langage, le langage institutionnalisé s’exprime dans des circonstances formelles alors que le langage qui n’est pas reconnu comme tel est réservé à la sphère privée et familiale. Il y a donc une reconnaissance plus ou moins consciente de la hiérarchie des langages, ils ne se valent pas tous puisqu’ils ne sont pas employés pour s’adresser à toutes les personnes, selon les mêmes situations et dans le même but.

Make the road New York

Make the Road est présent à plusieurs reprises dans le reportage. Une porte avec écrit dessus « make the road new york ». à l’intérieur une femme attend à un comptoir, deux femmes blanches âgées sont sur des chaises attendent. On y voit maintenant une standardiste latino. Sur le comptoir on peut voir une affiche de l’office pour les nouveaux américains, les textes et affiches sont en anglais. Une assemblée de latino est assise, sans distinction de genre ou d’âge. Une homme parle des questions à débattre ce jour.

L’usage de la langue est uniquement hispanique tout au long de la séance. La première question concerne ceux qui ont dû passer la frontière avec des enfants. Ils sont trois dans l’assemblée. Ceux qui ont fait venir leur enfant après leur arrivée sur le sol américain ils sont également trois. L’homme qui dirige l’assemblée, qui est le seul à ne pas sembler être d’origine latino, propose que ceux qui veulent témoigner le fassent. La première à témoigner, Célia qui vient du Mexique. Elle explique que la situation économique mexicaine est difficile. Elle a fait venir le mari de sa fille, sûrement pour travailler et gagner de quoi investir dans la possibilité de loger le reste de la famille plus tard. Elle raconte ses difficulté avec les passeurs, qui abandonnent les candidats à l’immigration et peut être droguent les enfants lors des passages de la frontière, leur prennent tout leur argent, et la nécessité de fuir les agents de l’immigration. L’usage de langue latino est clair, elle raconte son récit sans hésitations. Grand usage de la gestuelle des mains pour illustrer le propos, elle se touche le visage quand elle raconte comment sa fille se rafraîchit par exemple. La communication paralinguistique est très utilisée pour se faire comprendre et rendre son discours plus vivant. Elle accentue fortement lorsqu’il s’agit de parler de la volonté à mettre dans des actions « continuez il faut continuer » lorsqu’ils encouragent sa fille à ne pas laisser tomber par exemple est fortement accentué, « nada » est répété et accentué pour illustrer à quel point il n’y a rien autour d’elle. La répétition, le martèlement du message et donc une grande capacité à maîtriser la communication pour obtenir l’effet qu’elle souhaite produire sur son auditoire. Le reste de l’histoire est sur un ton plus monotone et fluide. Plus il y a d’action, et plus elle accentue son propos par de la gestuelle et une hausse du ton. Lorsqu’elle termine, pour inciter à d’autres témoignages, un des hommes sur l’estrade rappelle qu’ils ont tous ici passé la frontière en prenant des risques, que lui s’est mouillé dans le rio grande par exemple.

Retour à « make the road new » pour une seconde scène où l’on voit que l’usage de la langue latino est encore une fois exclusivement latino mais contrairement à la scène précédente il y a dans cette scène surtout des femmes, toutes latinos, on note l présence de deux hommes. Une personne transgenre, celle qui menait la manifestation devant le café pour discrimination, se plaint du harcèlement par les policiers qui les empêchent d’accéder à un bar. On comprend au fur et à mesure que ses revendications sont liées à la préservation de son revenu basé sur la prostitution. Elle argumente qu’elle et les autres filles sont une raison de l’affluence des clients dans le bar. La conseillère de l’association, qui utilise la langue latino, leur propose d’utiliser copwatch. Les filles ont peur de rentrer dans un conflit plus grave avec la police qui tournerait à leur désavantage. Nous ne savons pas si la police est blanche, on ne peut donc parler d’un éventuel monopole de l’autorité ni de l’usage de la langue de leur part mais un représentant de la police était à l’anniversaire du maire et il était blanc. La discussion révèle la peur de travailler dans la rue, qui signifierait une perte de sécurité par rapport aux conditions de travail dans le bar. Il semble que cette situation vienne du fait que les membres de l‘église située à coté se plaint des stigmates de leur profession (préservatifs usagés sur le sol). Le prétexte de l’atteinte à la vie privée est évoqué par la représentante des prostituées. Elle propose d’utiliser la stratégie de la manifestation par le groupe, ce qui rappelle la manifestation devant le bar où elle semblait aussi être le leader. A la fin de son discours elle remercie celles et ceux qui l’ont accompagné au restaurant, c’est donc bien elle qui organise le groupe dans des stratégies d’union pour pouvoir exercer des pressions. On remarque donc l’acquisition de stratégie de défense des intérêts individuels, ici intérêts économiques, en passant par un rassemblement en collectif et à l’aide d’associations luttant contre les discriminations faites aux minorités.

Troisième et dernier passage à make the Road. Dès l’entrée un affichage de prévention concernant des poursuites judiciaires liées à l’immigration inscrite en anglais. Brouhaha dans la salle, on peut distinguer de l’anglais à l’entrée. La distinction des langues est cependant très dure à faire. C’est une nouvelle réunion où des témoignages de l’expérience de l’immigration sont proposés. Un homme raconte comment il a été licencié sans préavis alors que son travail semblait apprécié depuis 9 mois. Il exprime à quel point il se sent méprisé et impuissant. Sa mauvaise compréhension de la langue et de la loi du pays dans lequel il travaille, le rend comme une proie facile, incapable de se défendre par lui-même car ne maîtrisant pas les codes, linguistiques et juridiques. Un jeune mexicain raconte de son côté, qu’on lui a conseillé cette association pour trouver du soutien. Il explique qu’il a été exploité dans une pizzeria où il travaillait 60 à 65h par semaine. Il pense que c’est à cause de sa mauvaise maîtrise de l’anglais. Il est juste venu demander de l’aide dans ce lieu de solidarité où viennent s’exprimer les minorités sociales. Le rapport de force face aux entrepreneurs est désavantagé de par la position sociale de celui qui demande un poste, qui en a besoin et celui qui le propose et qui a le pouvoir de dire oui ou non. A ce rapport de force inégal s’ajoute le désavantage hiérarchiquement situé de la langue utilisée. Le signifiant est analysé sous l’influence préalable du signifié qui est jugé plus ou moins positivement selon sa position hiérarchique dans le champ linguistique renforçant ainsi le rapport de force entre exploitant/ exploité en faveur du premier qui a tous les pouvoirs en sa faveur. Néanmoins il précise que ses patrons sont « d’une religion où l’on prie trois fois par jour » montrant ainsi sa difficulté à nommer les choses qui ont l’air nouvelles dans son environnement. Après quelques échanges qui devenait stigmatisant, il est rappelé que peu importe leur religion ou leur nationalité d’origine, ses patrons lui doivent un salaire point. Et que par expériences, les membres de l’association précise quelque-soit la couleur etc des gens même ceux de la même famille, les gens avaient tendance à se voler entre-eux. La mise en compétition des individus les uns contre les autres pour subvenir à ses besoins dans un marché du travail en tension conduit donc à des comportements que l’on retrouve quelque-soit la nationalité d’origine ou la religion. Le besoin d’argent ou simplement l’avidité a un effet pervers qui conduit à l’égoïsme et à renier ses origines, les siens, ses semblables pour un profit personnel. L’association permet de rassembler ceux qui sont victimes de discriminations et ont un intérêt commun pour lutter contre l’exploitation des ouvriers immigrés qui ne maîtrisent pas la langue légitime et les lois du travail. Ici la quantité de personnes en difficulté s’allie à l’expérience des membres de l’association pour créer une force contre le pouvoir symbolique du langage institutionnalisé dont s’arment les exploitants pour créer un fossé entre eux et leurs ouvriers pour en tirer un profit personnel.

Les bars restaurants et bars discothèques la nuit

À l’intérieur du premier bar de nuit nous assistons à une représentation musicale. Sur la scène une chanteuse chante en espagnol. Elle est entourée d’une guitare sèche d’une contrebasse et d’un violon. On remarque alors l’expression du brassage multiculturel qui s’exprime ici avec d’un côté le chant latino et les instruments occidentaux bien que le violon soit joué d’une manière moins traditionnelle car joué principalement pincée. Du côté des spectateurs le brassage culturel est présent bien qu’on note une majorité d’individus de type caucasien. La caméra porte sur trois blancs, deux hommes et une femme, ils balancent au rythme de la musique, deux autres hommes blancs sur un autre banc observent. Dans le second bar, la situation est identique. Une musique latino on y danse un mix de tango et de slow en couple on y boit, en et on y discute à côté des fûts de boissons. On remarque la présence assez chic des individus qui composent l’assemblée, chemises et vestes classes rappellent le style occidental des hommes d’affaires. A travers la description de ces deux scènes nous pouvons émettre l’hypothèse qu’il y a une distinction entre le marché linguistique et culturel concernant la langue hispanique. L’espagnol, produit linguistique, est plutôt dévalorisé dans le contexte institutionnel et professionnel alors qu’en tant que produit culturel, elle semble appréciée par la communauté blanche. On attribue pas la même valeur au produit linguistique selon le la manière et le lieu dont il est employé.

L’auto-école

L’anglais retentit. Le jeune professeur porte une chemise et est plutôt typé de l’Asie du sud. Il accentue un mot clef, puis décrit plus en détails. La proximité ethnique entre le professeur et les élèves se dévoile pas seulement par l’apparence physique mais aussi à travers l’accent du professeur qui malgré une connaissance du vocabulaire et de la grammaire garde un accent prononcé typique des population de l’Asie du sud. Par exemple les Indiens qui de par la colonisation Britannique ont une connaissance de l’Anglais mais s’expriment avec un fort accent typique. Par exemple le mot tunnel est prononcé en anglais « tɔnœl » alors qu’il est ici prononcé par le formateur « tɔnɔl» se qui retranscrit son origine culturelle et par conséquent sa proximité avec le public. Il utilise des phrases courtes, énonciatrices. Les phrases sont souvent réduites aux mots clefs sans liaison, type sujet verbe complément. Il accentue chaque syllabe afin que les mots soient bien intelligibles et sépare bien ces derniers les uns des autres. L’usage du mot shabashi, qui n’est pas anglais, est utilisé pour récompenser l’élève qui donne une bonne réponse. Les étudiants sourient lors de l’évocation du shabashi. On note l’apprentissage de la lecture d’une carte qui dans les pays occidentaux se fait dès l’école primaire et qui ici doit être effectué grâce à une méthode utilisant des proximités culturelles des étudiants. L’usage différencié de la main gauche et de la main droite par exemple, propre aux cultures des étudiants, est un moyen mnémotechnique d’apprentissage des mots « est » et « ouest ». La mise en valeur des voyelles dans les mots désignant les actions liées à ces mains traditionnellement   permet d’être mise en relation avec les points cardinaux y correspondant. Le professeur accentue donc ces voyelles pour faciliter l’apprentissage de ces points cardinaux. La répétition est également utilisée pour illustrer l’acte de répéter l’apprentissage par la pratique. Cette répétition s’accompagne d’une hausse progressive du ton pour devenir performative lorsqu’il intime de « pratiquer le dessin ». Une grande utilisation du discours performatif est faite, « croyez mois » appuyé de preuves pour légitimer son discours et le valoriser afin de persuader je suis allé à l’école, croyez-moi ! » Le professeur met donc en place ce qu’on peut appeler les conditions sociales de l’acceptabilité en se reposant sur la légitimité reconnu par son auditoire des études. On remarque que l’assemblée est très diversifiée culturellement, le mot « quartier », exprimé ici en anglais « neighbor », est traduit en six langues (tibétain, arabe, français, népalais, bengali et ourdou) En étudiant la pratique de la formation, centrée essentiellement sur des mots-clés, traduit que l’objectif ici n’est pas un apprentissage de l’anglais pour communiquer mais seulement pour permettre d’accéder à l’emploi de chauffeur de taxi et subvenir à ses besoins en maîtrisant les mots essentiels à la profession.


Conclusion

Si le B.I.D porté par les acteurs maitrisant les voies légales est voté, le quartier de Jackson Heights verra un changement radical de sa culture ne représentant plus du tout ceux qui l’ont créé et fait vivre jusque-là. Pour les latinos du quartier qui tiennent les petits commerces le quartier est multiculturel mais pas au sens de pays, au sens « latino ». Pour eux c’est l’identité du quartier et des gens viennent d’autres quartiers comme du New Jersey ou du Connecticut pour cette identité latino multiculturelle qui présente une configuration et une offre unique de restaurants et de commerces, un caractère « authentique » que le B.I.D détruira s’il est voté. On peut penser que l’affirmation de l’identité latino, en tant non plus que simple expression d’une culture sud-américaine, mais internationale, lors de l’affichage sur les vitrines, et dans la langue couramment utilisée sont une institution qui préserve un style de vie basé sur l’entraide et l’acceptation de la différence mais seulement de manière symbolique. Car ce style de vie est indispensable à la survie du groupe menacé par un autre groupe qui détient la langue institutionnelle pour les transactions financières, la reconnaissance de la nationalité, et des fonctions marchandes légales, ainsi que la maitrise des lois elles-mêmes, la langue donc pensée pour être légitime. Si la culture symbolique est indispensable à l’existence du groupe, seule la langue voulue comme légitime peut assurer les conditions du maintien de cette existence.

Par ailleurs, lors de la séance au salon de toilettage canin, ainsi qu’à travers divers compromis dans les lieux de culture, on peut observer que certains usages culturels peuvent être copiés ou gommés pour renforcer symboliquement l’usage de l’anglais comme langue légitime, y compris pour un latino, afin de se distinguer socialement, ce qui donne une chance de plus au B.I.D d’aboutir à une situation comme celle d’autres quartiers gentrifiés comme bush Wick, ou Harlem, ou encore Williamsburg, où les populations les plus pauvres, et moyennes se sont vues remplacées par des classes aisées. On peut donc penser qu’un processus d’acculturation par l’usage de la langue anglaise, qui est considérée aussi comme plus légitime par une certaine fraction de la population latino du quartier désireuse d’accéder à un style de vie correspondant aux franges plus aisées des états unis d’Amérique, participe à une forme de violence symbolique en faveur du phénomène de gentrification du quartier par les promoteurs immobiliers. De plus, l’apprentissage et l’usage de l’anglais restent la clef de l’accession à des fonctions marchandes comme conduire un taxi.

Le quartier reste malgré tout un lieu de solidarité important pour la communauté issue de l’immigration qui s’y concentre, comme en témoigne l’association make the road, et les commerçants qui tentent de s’unir en s’informant avec l’aide de deux enquêteurs pour faire face au B.I.D malgré que le processus de gentrification ai déjà été entamé. On peut anticiper dans l’usage systématique de la langue latino lors de ces entre-soi une forme de résistance au risque de devoir quitter le quartier, voir les états unis d’Amérique.

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