L’accouchement : mutations et permanences (XVIIe-Début XIXe s)

L’époque moderne, qui s’étend du XVIIème siècle au XIXème siècle est une période de profondes mutations, aussi politiques que religieuses, ou commerciales, qui ont une influence sur les mœurs et coutumes du peuple. Nous parlerons ici de l’accouchement dans la France rurale de cette époque, impactée surtout par le politique et le religieux.

L’accouchement est un marqueur des transformations de notre société. S’il conserve par certains aspect un rôle important de la femme en tant qu’actrice non pas seulement en tant que parturiente, ne marque-t-il pas aussi le passage d’une autorité matriarcale à celle des hommes dans la chambre d’accouchement ?

Dans une première partie, nous verrons comment l’acte de l’accouchement sous l’ancien régime est avant tout un acte féminin, et familial même s’il concerne le village. Nous verrons la place de la mère et de la grand-mère, puis celle de la matrone, et de l’homme.

Puis nous verrons comment la naissance reste un moment qui échappe à l’autorité religieuse. Nous verrons aussi comment l’église tente de se réintroduire dans la pièce à accoucher en transformant les croyances et en introduisant l’ondoiement.

Ensuite nous observerons qu’avec le passage de la matrone à la sage-femme, c’est aussi l’autorité civile qui s’empare de la natalité, et l’homme, en tant que médecin, qui entre dans ce lieu autrefois réservé aux femmes.

L’accouchement au domicile : un moment communautaire et féminin

Au début de l’époque moderne, l’accouchement reste un moment de la vie surtout féminin. Il concerne d’abord les femmes du village. L’accouchement se déroule dans la pièce la plus chaude de l’habitat, celle où il y a un âtre qu’on peut utiliser, et on ferme les fenêtres pour que les mauvais esprits ne rentrent. En premier lieu c’est la mère[1] qui vient au chevet de la fille, pour l’aider à accoucher. La grand-mère n’est là que pour assister puisque sa fille a elle-même déjà de l’expérience. En effet, la parturiente n’est entourée que de femmes pouvant lui donner des conseils puisqu’elles ont-elles même accouchées, cette tâche d’accoucheuse est dévolue aux femmes du village, dont une femme qui fait plus autorité que les autres : la matrone, appelée aussi bonne mère dans certaines régions, ou mère-mitaine dans d’autres.

La matrone a donc toute autorité lors de l’accouchement. C’est une femme mariée, ou veuve, qui a déjà eu des enfants, et qui peut quitter son foyer. Elle doit être reconnue par la communauté des villageois : les hommes et les veuves, qui sont toutes et tous chefs de famille. Parfois comme dans le grand est, c’est une assemblée de femmes qui désigne la matrone. La matrone est au contact du mauvais sang, ce qui inspire une certaine crainte dans la communauté, pétrie de superstitions et de croyances inspirées même par l’autorité religieuse légitime, l’église. La matrone prescrit la position à adopter, et donne des conseils pour accélérer le travail. Il peut s’agir de s’agiter, ou d’appuyer sur le ventre.

Par contre, l’homme perd presque toute autorité lors de l’accouchement. Il se peut qu’il soit appelé pour son expérience du vêlage afin de sortir un enfant qui se présenterait retourné, mais sa place reste dehors à attendre, et à se tenir prêt a apporter du bois pour le feu ou de l’eau du puit. L’homme lié au médical, le médecin, n’est pas non plus le bienvenu dans la pièce à accoucher, c’est exclusivement une affaire des femmes du village, sous l’autorité des matrones. Le fait que la médecine ne soit pas présente lors de l’accouchement rend difficile l’étude médicale de ce moment, et les progrès dans le domaine de l’accouchement. Ceci explique en grande partie la surmortalité des femmes en couche, ainsi que des enfants.

Un acte qui échappe à l’autorité religieuse

Une autre autorité masculine, religieuse cette fois, cherche aussi à reprendre la main sur ce moment. A partir du XVIIème siècle, l’église cherche à se réintroduire dans ce lieu dont elle est exclue, en certifiant les matrones. Ces dernières doivent alors être approuvées non seulement par le village, mais aussi par le curé. Celui-ci va alors leur faire prêter serment, un serment qui n’a pas seulement trait au religieux comme l’atteste ce Modèle de serment, proposé par l’Eglise en 1786 pour les sages-femmes formées à l’Hôtel Dieu de Paris[2] « si je vois un danger qui m’inspire une juste défiance de mes forces et de mes lumières, j’appellerai les médecins ou les chirurgiens ou des femmes expérimentées dans cet art ». On voit donc bien que l’autorité religieuse cherche à institutionaliser et légitimer sa démarche, même si c’est avant tout le baptême qu’elle recherche.

En effet, l’acte fondateur par lequel l’église tente d’entrer dans les foyers lors de l’accouchement est le baptême. A partir de la seconde moitié du XVIIème siècle, elle va y parvenir grâce à l’ondoiement. Le baptême est à l’époque un acte majeur pour sauver les âmes. Lorsqu’un enfant meurt sans avoir été baptisé, il risque d’errer dans les limbes, un endroit où, échappant à la vision de dieu, l’âme est destinée à errer pour l’éternité. Le baptême doit avoir lieu dans les trois jours suivant la naissance, surtout pour éviter ce risque de mortalité infantile. Bien sûr il existe encore à cette époque une pratique répandue depuis le XIVème siècle, qui consiste à emmener le mort-né dans un sanctuaire à répit afin de guetter un signe pour baptiser, mais l’église arrive à imposer l’ondoiement aux matrones. L’ondoiement qui consiste à verser un peu d’eau et prononcer des paroles simples qui seront plus tard complétées à l’église si le bébé survit. Ainsi le rôle de la matrone, se voit d’abord remis en question par l’église.

De la matrone à la sage-femme, l’autorité civile et la médecine s’installent

Au XVIIIème siècle, on voit l’apparition des sages-femmes. Celles-ci existaient déjà dès le XVème siècle, surtout dans les villes, mais c’est à ce moment-là qu’elles commencent à remplacer les matrones dans les villages. Elles sont très surveillées, que ce soit par l’état autant que par l’église, cette dernière leur demandant même de posséder un certificat de catholicité. Leur contrôle est jugé nécessaire pour lutter contre les avortements et les infanticides, et à partir de 1692, un certificat délivré à l’issue d’un examen leur est nécessaire pour exercer. Dès le début du XVIIIème siècle, on assiste à une campagne de dénigrement des matrones par le corps médical. Il faudrait donc confier l’accouchement aux sages-femmes, ou aux médecins accoucheurs. Mais les médecins accoucheurs inspirent la peur aux femmes et coupent ces dernières de la présence des autres femmes, en plus de leur imposer une position inconfortable prescrite par la décence[3]. C’est un premier pas vers la prise de possession de l’accouchement par les hommes et le corps médical, essentiellement masculin.

C’est donc une mutation profonde de l’accouchement qui s’opère à partir du XVIIIème siècle. On voit des méthodes nouvelles comme la méthode de Madame De Coudray, sage-femme juré, qui part former avec un mannequin de sa création « la machine de Madame De Coudray », plus de 2500 sages-femmes et médecins accoucheurs. Madame De Coudray est titulaire d’un brevet royal qui en fait une formatrice officielle, et écrit et 1759 l’Abrégé de l’art des accouchements. Les femmes formées sont des filles, sans enfants, ce qui rompt avec l’idée de matrone. Ces dernières continuent de bénéficier d’une certaine confiance dans les campagnes, mais en ville les sages-femmes s’imposent, et on en voit les effets sur la mortalité : 6,3/1000 en ville contre 10,1/1000 dans les campagnes. Les médecins accoucheurs pour qui les accouchements se passent bien bénéficient quand à eux d’une confiance acquise dans les familles où ils exercent et prennent également pied dans ce moment de la vie.

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L’époque moderne est avant tout une période de mutation de l’autorité sur l’accouchement. Progressivement, on passe d’une autorité matriarcale, qu’on pourrait qualifier de paganiste même si les superstitions inspirées par l’église sont bien présentes, à une autorité légitimée par le clergé catholique, majoritaire, puis civile et médicale avec les sages-femmes et les chirurgiens accoucheurs. Les sages-femmes, en appliquant les consignes du médical, aérer, calmer, nettoyer, font entrer un corps et une autorité alors exclusivement masculine dans la chambre à accoucher, celle du médical.

La place de la femme peut donc être en quelque sorte considérée comme une persistance puisque même si son rôle devient subalterne, il subsiste. Après Madeleine Brès[4], première femme médecin en 1875, les femmes pourront enfin accéder à nouveau avec toute l’autorité possible dans la chambre à accoucher. La naissance serait elle donc une affaire de lutte de pouvoir entre les sexes ?


[1]Berthiaud, Emmanuelle. « Accoucher à la maison aux xviiie et xixe siècles. Les préparatifs et le vécu féminin », Marie-France Morel éd., Naître à la maison. D’hier à aujourd’hui. ERES, 2016, pp. 49-78.

[2] Histoire de la naissance en Occident (XVIIe – XXe siècles) – Société d’Histoire de la Naissance (societe-histoire-naissance.fr)

[3] Histoire de la naissance en Occident (XVIIe – XXe siècles) – Société d’Histoire de la Naissance (societe-histoire-naissance.fr)

[4] Madeleine Brès — Wikipédia (wikipedia.org)

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